Le boom de la zone industrielle

Entre Meyrin, Satigny et Vernier, de larges bâtiments industriels poussent comme des champignons. Un phénomène récent qui mêle croissance et spéculation immobilière

Le Courrier | Jeudi 15 août 2019 | par Eric Lecoultre

La journée de travail prend fin dans la zone industrielle de Meyrin, Satigny et Vernier (connue sous l’acronyme Zimeysaver). Les passants venant de toutes parts se dirigent d’un pas rapide vers la gare afin de rentrer chez eux. Ici, tout est en chantier. La halte ferroviaire de Zimeysa est en train d’être rallongée afin de pouvoir doubler la capacité des trains qui la desserviront tandis qu’un imposant bâtiment de six étages est en construction le long des rails. Un décor désormais familier dans ce secteur qui voit des immeubles aux gabarits inédits pousser comme des champignons depuis une décennie à peine.
Le phénomène de la densification à Genève ne touche pas que les quartiers résidentiels. La Zimeysaver, compte déjà 1400 entreprises et 16 000 emplois répartis sur 380 hectares. Dans ce périmètre, les bâtiments prennent également de la hauteur. Le temps des entreprises gourmandes en mètres carrés semble révolu. «Beaucoup de sociétés de tailles diverses cherchent à s’installer dans ces zones. Les constructeurs sont encouragés à optimiser l’utilisation du sol en construisant sur plusieurs étages», explique Mikaël Meyer, chef de projet à l’Office cantonal de l’urbanisme. La tendance est aujourd’hui à la création d’immenses blocs – parfois sans fenêtres –, des «hôtels industriels» qui peuvent atteindre jusqu’à 24 mètres de haut (le maximum légal) et abriter plusieurs sociétés et activités différentes.

De juteuses plus-values
A proximité directe de la gare Zimeysa, c’est un projet nommé «Atrium Park» qui devrait être achevé à la fin de l’année. Devant les échafaudages, les chiffres affichés impressionnent: 30 000 m2 de surfaces d’activités, des ateliers, un hôtel trois étoiles, un fitness. Il s’agit de l’un des nombreux bâtiments construits ces dernières années dans la Zimeysaver par la Compagnie des parcs. Sur la route de Satigny, un bâtiment massif de couleur bordeaux a été vendu en 2016 par cette société luxembourgeoise pour la somme de 105 millions de francs. Un kilomètre plus loin, à la rue des Moulières, c’est un autre immeuble du même type qui a été cédé en 2013 pour 68 millions (notre édition du 24 avril 2017). De nouveaux promoteurs ont pris d’assaut la Zimeysaver, attirés par des opérations particulièrement lucratives. Ils construisent sur des terrains
appartenant à la Fondation pour les terrains industriels (FTI) et réalisent de juteuses plus-values à la revente.
La zone industrielle est-elle en proie à la spéculation immobilière? «Le risque existe et nous en sommes conscients», répond Claudia Grassi, directrice générale de la FTI, le bras armé de l’Etat dans ce secteur. Depuis 2017, des mesures ont été prises. Le calcul de la rente exigée par la fondation a été revu et prend désormais en compte le rendement potentiel du promoteur et un droit au gain (une part du profit) est perçu en cas de vente rapide d’un bâtiment. De nouvelles règles supposément dissuasives. «Nous voulons limiter les risques de spéculation. Nous ne cherchons pas à décourager les investisseurs qui sont des acteurs importants. Les bâtiments construits actuellement sont de qualité et répondent aux besoins des entreprises», précise Mme Grassi.

La tendance va s’accentuer
Selon le représentant d’Ensemble à gauche au conseil d’administration de la FTI, Julien Repond, la fondation devrait attribuer ses terrains directement aux entreprises du secteur secondaire plutôt qu’à des acteurs intermédiaires. «C’est le problème de la ‘titrisation’ de la zone industrielle. Elle attire de gros fonds de placements qui se font des fortunes, mais cela ne sert pas les intérêts des artisans et des petites entreprises car les loyers proposés sont trop élevés.» Si les hôtels industriels réunissant plusieurs sociétés sont une solution utile, Julien Repond
plaide pour la création de coopératives ou des promotions menées directement par les pouvoirs publics.
Les changements à la Zimeysaver accompagnent une autre mutation, celle du secteur Praille-Acacias-Vernets (PAV), un périmètre proche du centreville occupé aujourd’hui par des entreprises industrielles, invitées à laisser leur place à des logements et des bureaux. Ces mouvements devraient encore augmenter la pression sur la zone industrielle. «Le déménagement du PAV est en cours et la tendance va s’accentuer lors des prochaines décennies», indique Claudia Grassi. A l’horizon 2030, ce sont plus de 10 000 travailleurs supplémentaires qui sont attendus du côté de Meyrin, Satigny et Vernier.

Rendre la zone attractive
En matière d’aménagement, les défis sont de taille. Le premier concerne la mobilité. Pour déplacer toujours plus de travailleurs, les autorités parient notamment sur les transports publics. Les CFF ont ainsi investi environ 56 millions de francs pour adapter les infrastructures ferroviaires à la demande sur l’axe Cornavin-La Plaine qui passe justement par Zimeysaver. L’agrandissement des quais permettra à des trains plus longs de pouvoir circuler. Des lignes de bus à haut niveau de service devraient aussi être mises en service durant les prochaines années.
L’autre défi concerne les espaces publics. Entre les bâtiments industriels toujours plus grands, l’environnement demeure austère et peu propice à la promenade. De fait, le quartier ne prend vie que durant les heures de bureau et offre très peu de possibilités en matière de restauration et de loisirs. Pour la FTI et l’Etat, l’objectif est de réunir davantage de services dans cette zone. «Les entreprises sont invitées à travailler ensemble afin de mutualiser leurs besoins. On souhaite accroître l’implantation de crèches, de restaurants, de fitness ou d’autres services utiles», explique Claudia Grassi. Mikaël Meyer va dans le même sens: «Il faut parvenir à tisser des liens avec les quartiers résidentiels voisins. Pour cela, nous devons travailler sur la création d’espaces publics qui donnent envie de se déplacer. Le décloisonnement des zones industrielles est essentiel.»